* Le trou noir des analyses : le stalinisme *

Si la droite, à la tête de laquelle se situe toujours l’ex-stalinien Courtois, qui en bon renégat est devenu le pire anticommuniste, continue à noyer le Centenaire dans le sang du stalinisme, augmenté de celui de toute l’époque, à l’inverse, la gauche des anciens staliniens se trouve bien embarrassée avec les monstruosités qui accompagnèrent et suivirent la  saisie du pouvoir absolu par Staline, en commençant par l’élimination sanglante de tous les survivants de la direction d‘Octobre. Qu’en faire ? Les jeter dans le trou noir des analyses.


Accordons à Roger Martelli, d’avoir en France, avec son titre d’historien, laissé, depuis des décennies, un grand blanc au milieu de l’histoire de l’URSS, qui permet une continuité parfaitement propre du communisme. Ne devait-il pas, à l’heure du Centenaire, y aller, comme les autres, d’une histoire complète de la Révolution et…de sa fin ?


Il préféra écrire un 1917-2017 : Que reste-t-il de l'Octobre russe ?  Comme il l’expliqua, tout-à-coup modeste, à son interviewer Laurent Lévy (!), ce n’est qu’un essai, et il précisa : « Je ne suis pas un spécialiste de la Russie et de l'URSS. Mais, communiste et historien du communisme français, je ne pouvais pas me dispenser d'un regard sur ce qui fut si longtemps un modèle. Et on comprendra aisément que mon point de vue tourne autour de la question des questions : ce qui est advenu après 1917, et notamment le tournant stalinien, est-il ou non la conséquence inévitable du choix de cet automne flamboyant ? Le stalinisme est-il ou non la vérité du communisme ? Ou suffit-il de dire qu'il en est une perversion ? »


Mais pour répondre à sa propre question, le chemin sera long. Il faudra passer par toutes les révolutions, depuis celle de 1789, sans aucune mention du fait qu’il s’agissait de révolutions bourgeoises, jusqu’à la Commune puis aux décennies sans révolutions, pour revenir à  "Que reste-t-il de l'Octobre russe?" je suggère la réponse paradoxale : tout et rien. La révolution ne sera pas ce qu'elle était, mais on ne peut pas se passer de l'horizon révolutionnaire. »


Encore un écart pour un résumé ahurissant sur un Octobre, quasi accidentel. « Les bolcheviks, à la limite, "prennent" un pouvoir qui n'existe pas... »


Enfin, pressé par son intervieweur, il répond : « La théorie de la "contre-révolution", développée au départ par l'Opposition de gauche à Staline, a incontestablement sa force pour dire que la dynamique (sic) stalinienne a tourné le dos aux espérances fondatrices. Mais elle a le défaut d'exonérer la période antérieure de tout défaut. Or, même si la méthode léninienne est aux antipodes de celle de Staline, on est bien obligé de constater que, pour une part tout au moins, le ver était déjà dans le fruit. […] La "dictature du prolétariat" étant prise à la lettre d'un pouvoir ultra-contraignant et non comme un principe métaphorique. Le stalinisme n'était pas la seule manière de poursuivre cette voie. La NEP imposée par Lénine au printemps de 1921 ouvrait sans doute d’autres possibilités. Mais l’intuition léninienne ne résiste pas aux aléas des années 1920. La logique administrative semble la plus réaliste et la plus raisonnable. Le stalinisme, au départ, ne fut rien d'autre qu'une exacerbation de la pente étatiste originelle. Hélas, il le poussa jusqu’à la démesure et à la tragédie. […] Le stalinisme est d'abord une phase de destruction brutale de l'ancien monde, sans que se stabilise un nouvel ordre d'organisateur de la société. » Et c’est Laurent Lévy qui conclut : « Un ver dans le fruit, pas de "contre-révolution", pas de "Thermidor"… un échec final comme inscrit dans les prémisses-mêmes de la révolution… n’est-ce pas une vision très pessimiste, voire tragique, de toute cette histoire ? Si le XXe siècle est fondé sur la Révolution russe, est-il fondé sur un malentendu ? Ton livre s’intitule Que reste-t-il de l’Octobre russe ? La question est-elle la même que celle qui demanderait Que reste-t-il du communisme ? »


Le trou noir a disparu ! N’en parlons plus. Il faut penser à autre chose.


Il est toutefois très curieux que ce soit le livre de Martelli  que la revue gauche, Politis, ait retenu comme essentiel parmi les livres du Centenaire, et négligeant le « Trou noir », est parvenu a donné une fonction positive au communise stalinien de l’après guerre. De plus, on peut lire à propos de l’insurrection de Cronstadt : « les enfants chéris d'Octobre [...] Leur mobilisation sera réprimée dans un bain de sang sur ordre de Trotski. Des milliers d'exécutions mettront un point final à la révolte. Nous sommes en mars 1921, trois ans et demi après Octobre. » Ignorance étonnante pour le directeur d’une telle publication, il ne savait pas qu’en 1921, il n’y avait plus  à Cronstadt un seul des marins de 1917, mais qu’ils avaient tous été remplacés par des marins de la Mer noire, ukrainiens pour la plupart, et qu’il est de ceux qui semblent n’avoir pas connu la découverte par le prof. Avrich, de l’organisation de l’insurrection par les Blancs de Paris. Cerise sur le gâteau : la reprise de la plaisanterie de Tariq Ali : « « Ce qui est sûr, c'est que, sans Lénine, il n'y aurait pas eu de révolution socialiste en 1917. » Et Trotski, dit-il, serait devenu un grand romancier classique russe. » L’ami Tariq Ali ignorait de son côté que Lénine avait dit un jour à Trotsky : « Si vous ou moi n’avions pas été là en 1917, il n’y aurait pas eu de Révolution. »


En revanche, quand Martelli prête aux trotskistes, la caractérisation du stalinisme comme une « contre-révolution », il se trompe. Trotsky a été assassiné avant d’avoir poussé à bout son analyse de ce qu’il appelé une « une contre-révolution politique », dans le volume posthume Défense du marxisme. Pour lui, la base subsistante, sous le despotisme stalinien, de l’économie collectivisée qui fondait l’ « État ouvrier », créait dans sa dégénérescence un déséquilibre qui le vouait à l’effondrement, à la fin de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en cas de victoire comme de défaite. Pourquoi n’en fut-il pas ainsi ? C’est qu’il raisonnait en termes de classes fondamentales, alors que comme je l’ai démontré,  à partir de 1988, dans un débat à l’intérieur de la LCR, la plus longue durée de vie du système stalinien, a été celle d’une de ces classes temporaires - dans ce cas la « nomenklatura » -, qui  apparaissent dans l’histoire comme parasites d’une économie antérieure ou à naître. Cette erreur n’enlève rien à la dénonciation du stalinisme, pour laquelle les écrits de Trotsky sont nombreux. Pas de trou noir pour lui.


Mais quant en est-il de ceux qui se réclament de lui aujourd’hui ?


La revue Dissidences ena publié, sous la plume de Jean-Guillaume Lanuque, un compte-rendu : « Dans la sphère trotskyste dont le noyau est l’ancienne LCR – l’actuel NPA, la célébration du centenaire de 1917 a été marquée par trois parutions officielles et une officieuse : un dossier de la revue Contretemps cet été, un recueil de textes de Daniel Bensaïd, et ce nouveau livre d’Olivier Besancenot. Ce que nous rapporte Lanuque de Besancenot, c’est ce dont nous avons déjà fait la critique, et naturellement, l’éternel faux sur la répression de Cronstadt. Drôles de trotskistes anti-Trotsky.  Viennent ensuite des œuvres qui n’ont rien à voir avec le trotskisme,  et qui pour être récentes ne semblent pas apporter grand choses, si l’on en juge par celle d’une certaine Sophie Coeuré qui fait débuter la collectivisation stalinienne en 1927, et me semble bien sauter par-dessus le trou noir de son prix humain et de ce qui s’ensuivit, avant d’aller bavarder sur Rosa Luxembourg.
« Au rang officieux, c’est Michel Lequenne, trotskyste historique, qui livre sa vision de la révolution russe dans Contre-révolution dans la révolution, proposé en téléchargement gratuit sur son site. »


Rien de plus sur cette œuvre, sinon qu’elle est classée par quelques-uns comme de l’ « orthodoxie trotskiste ». Le trotskisme, nom courant du marxisme révolutionnaire, et qui, en tant que tel, ignore l’orthodoxie, voilà une élégante manière de censurer un ouvrage écrit selon les principes du matérialisme historique, et qui donc est bien le seul à être sans trous noirs, et à apporter des faits que Trotsky ne pouvait connaître  quand il fut assassiné.
Mais ne terminons pas nos Débats d’examen d’un tel bilan désastreux de l’historiographie de la magnifique Révolution d’Octobre en semblant méconnaître  les œuvres de Moshe Lewin, lui, à la différence de tous ceux dont nous avons montré la nullité, était un véritable historien. Mais en voulant faire en un tout historique de l’histoire de l’URSS, il a trébuché dans le trou, et a ainsi supprimé la coupure. Son traducteur Denis Paillard écrit : « Moshe Lewin  insiste sur la nécessité de ne pas faire du terme “stalinisme” un terme générique pour désigner l’URSS, mais de réserver le terme pour désigner la période où Staline est au pouvoir.  De plus, il souligne (collectivisation, industrialisation  à marche forcée, terreur et grands procès) et un stalinisme en crise dans les années de l’après guerre. » Après ce bel équilibre des « réalisations » et de la terreur, qui minimise les millions de morts, le reste manifeste un bel oubli du fait que la terreur de Staline dura autant que sa vie, donc jusqu’en 1953. Moshe Lewin, en écrivant une histoire économique et sociale de l’URSS, vue du petit bout de la lorgnette, a rendu son histoire globale et  sa fin incompréhensible. Lui non plus n’a pas évité le trou, et ne peut en rien m’être opposé : L’histoire du Centenaire de la Révolution s’arrête avec celle de la Contre-révolution.

11/11/2017

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